Relire encore une fois. Corriger une virgule. Revenir sur un mot. Puis tout recommencer. Pour certaines personnes, laisser une erreur derrière soi — même infime, même invisible — est impensable. Cela déclenche une tension immédiate, une angoisse insidieuse, un sentiment de perte de contrôle. Ce n’est plus de la rigueur : c’est une lutte contre l’imperfection, nourrie par la peur, la honte ou l’idée d’un jugement imminent. Derrière cette compulsion à tout corriger se cache une phobie silencieuse et souvent incomprise : la peur de laisser une erreur derrière soi.
Quand perfectionnisme rime avec anxiété
Corriger, c’est souvent positif. Cela montre l’attention, le souci de bien faire. Mais lorsqu’on n’arrive jamais à s’arrêter, qu’on sent le besoin obsessionnel de vérifier et modifier, que chaque tâche devient une boucle sans fin… alors, on sort du cadre sain. La correction devient :
- une compulsion (je dois relire, je dois réécrire),
- une source de tension (je n’arrive pas à me dire “c’est bon”),
- un obstacle à la productivité (je ne termine rien, ou je m’épuise à terminer).
C’est une forme d’angoisse perfectionniste, qui dévore l’élan créatif ou l’efficacité, et enferme dans l’autocorrection constante.
Une erreur = un défaut = une honte
Pour les personnes concernées, une faute oubliée n’est pas anodine :
“C’est une preuve que je suis négligent·e.”
“Je vais être jugé·e pour ça.”
“C’est une faille qui m’expose.”
L’erreur devient un marqueur identitaire négatif, une blessure narcissique. Et comme on ne peut jamais être certain·e de n’avoir rien laissé passer, la personne entre dans un cycle infini de vérification.
Cela peut concerner :
- les textes (mails, présentations, devoirs, messages),
- les détails visuels (mise en page, alignement, formes),
- les gestes du quotidien (fermer une porte, répéter une tâche, vérifier un mot prononcé…).
Un trouble souvent lié au TOC
Dans les cas les plus sévères, cette obsession relève du trouble obsessionnel-compulsif (TOC) :
- l’obsession = la peur qu’une erreur existe ou ait des conséquences,
- la compulsion = corriger, revérifier, reformuler, relire encore.
Ce TOC est parfois cognitif : il ne s’agit pas de rituels physiques visibles, mais de processus mentaux épuisants, invisibles pour l’entourage.
Ce que cela empêche ou détruit
- Perdre un temps considérable sur chaque tâche,
- Terminer à l’épuisement, sans jamais être satisfait·e,
- Refuser de déléguer, par peur qu’une faute vienne de l’autre,
- Retarder ou éviter des projets, car “pas prêt·e”,
- Souffrir en silence, car cela semble anodin ou valorisé (“c’est bien d’être pointilleux·se”).
Les racines de cette obsession
- Une peur profonde du jugement, souvent intériorisé depuis l’enfance,
- Une éducation très axée sur la performance et l’exactitude,
- Des traumatismes scolaires ou professionnels liés à des erreurs passées,
- Une identification à la perfection comme seule façon d’exister,
- Une personnalité contrôlante, exigeante, nourrie par une estime de soi instable.
Comment s’en libérer, étape par étape
✅ 1. Identifier les déclencheurs → Qu’est-ce qui me pousse à corriger ? Quelle pensée automatique surgit (“Si je ne corrige pas, il va se passer quoi ?”) ?
✅ 2. Tolérer l’inachevé, par micro-exposition → Laisser volontairement une “petite erreur” sans la corriger, et observer l’inconfort… puis sa disparition.
✅ 3. Revenir au sens, pas à la forme → Un message imparfait mais envoyé vaut mieux qu’un message parfait jamais livré.
✅ 4. Reprogrammer la satisfaction → Apprendre à dire “c’est suffisant”, même si ce n’est pas “parfait”.
✅ 5. Travailler sur l’estime de soi → Car derrière cette phobie se cache souvent une croyance : “Si je laisse une erreur, je perds de la valeur.”
Témoignage fictif
“J’ai passé 2 heures à corriger un mail de 6 lignes. Pas parce que c’était important, mais parce que je ne supportais pas l’idée qu’il y ait une coquille. J’ai changé trois fois l’objet, reformulé chaque phrase. Quand j’ai enfin cliqué sur envoyer, j’étais vidé.”
— Kenji, 35 ans
En conclusion
La peur de laisser une erreur derrière soi peut sembler anodine de l’extérieur. Mais elle enferme dans un cycle d’hypercontrôle épuisant, où chaque tâche devient un test, chaque mot un risque. Apprendre à tolérer l’imperfection, à renoncer à la maîtrise totale, c’est retrouver une forme de liberté mentale. Une liberté essentielle pour vivre, créer, et… respirer.
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