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Ils sont naturels, universels, protecteurs. Et pourtant, ils dรฉrangent. Les poils, ces simples filaments corporels, font lโ€™objet de rejets puissants, de normes strictes et de tabous profonds. Chez certaines personnes, ce rejet va bien au-delร  dโ€™un choix esthรฉtique : il prend la forme dโ€™une vรฉritable phobie, nourrie de honte, de pression sociale et de mal-รชtre identitaire. Plongรฉe dans ce trouble souvent passรฉ sous silence, ร  la croisรฉe du corps, de lโ€™intimitรฉ et de lโ€™obsession.


Poils et injonctions : une histoire de contrรดle

Dans de nombreuses cultures contemporaines, les poils sont devenus synonymes de nรฉgligence, de sauvagerie, voire dโ€™impuretรฉ. Ils rappellent lโ€™animalitรฉ, la sexualitรฉ, la transpiration โ€” autant dโ€™aspects du corps jugรฉs โ€œsalesโ€ ou โ€œincontrรดlablesโ€.

Les normes varient selon le genre :

  • Chez les femmes, lโ€™รฉpilation est presque attendue : aisselles, jambes, maillot, visage.
  • Chez les hommes, la pilositรฉ est parfois valorisรฉe (barbe, torse), mais ร  condition quโ€™elle soit โ€œmaรฎtrisรฉeโ€.

Rรฉsultat : chacun apprend, dรจs lโ€™adolescence, ร  scruter, camoufler ou effacer ses poils selon des codes bien dรฉfinis. Ceux qui sโ€™รฉcartent de la norme peuvent subir des moqueries, des remarques humiliantes ou dรฉvelopper une gรชne persistante.


Quand la gรชne devient phobie

La phobie des poils ne se limite pas ร  une prรฉfรฉrence pour la peau lisse. Elle peut prendre des formes trรจs intenses :

  • Dรฉgoรปt corporel : la simple vue de ses propres poils provoque une rรฉaction viscรฉrale.
  • Hyper-contrรดle : รฉpilation quotidienne, rasage compulsif, vรฉrification constante.
  • ร‰vitement : refus de se montrer en maillot, en short, dโ€™avoir des rapports intimes ou dโ€™aller chez le mรฉdecin.
  • Crises dโ€™angoisse : face ร  la repousse, ร  un oubli, ou ร  une situation non maรฎtrisรฉe.

Ces comportements sโ€™accompagnent souvent dโ€™une honte du corps dans son รฉtat naturel. Comme si les poils รฉtaient la preuve dโ€™un รฉchec ร  se conformer, ou pire, ร  โ€œse civiliserโ€.


Une obsession ร  la croisรฉe de lโ€™esthรฉtique et du psychique

Sous la phobie des poils, on retrouve souvent :

  • un besoin de contrรดle intense sur lโ€™apparence,
  • une intolรฉrance ร  lโ€™imperfection ou ร  lโ€™asymรฉtrie,
  • une peur du regard des autres et de la dรฉsapprobation.

Certains y associent des troubles tels que :

  • le trouble dysmorphique corporel (obsession sur une partie du corps jugรฉe โ€œlaideโ€),
  • les troubles obsessionnels-compulsifs (TOC) liรฉs ร  lโ€™hygiรจne ou ร  la symรฉtrie,
  • des traumatismes liรฉs ร  des moqueries ou des agressions.

Le poil devient alors un symbole du corps non conforme, du soi quโ€™on ne supporte pas de voir, et quโ€™il faut effacer.


Masculinitรฉ, fรฉminitรฉ et pilositรฉ : un double piรจge

Chez les femmes, les injonctions ร  lโ€™รฉpilation sont omniprรฉsentes. Le moindre poil devient synonyme de nรฉgligence, voire de dรฉgoรปt. Cela enferme dans un cercle de surveillance permanente :

ยซย Suis-je impeccable ?ย ยป
ยซย Et si quelquโ€™un voyait ?ย ยป
ยซย Que vont-ils penser ?ย ยป

Chez les hommes, le piรจge est plus subtil. Dโ€™un cรดtรฉ, le poil est vu comme preuve de virilitรฉ. De lโ€™autre, il faut quโ€™il soit soignรฉ, sculptรฉ, contrรดlรฉ. Trop de poils ? Cโ€™est โ€œsaleโ€. Pas assez ? Cโ€™est โ€œpas assez masculinโ€.

Rรฉsultat : beaucoup dโ€™hommes dรฉveloppent une gรชne croissante vis-ร -vis de leur pilositรฉ, sans oser en parler, par peur dโ€™รชtre jugรฉs โ€œtrop sensiblesโ€ ou โ€œcoquetsโ€.


Le poids du regard social

La phobie des poils est aussi une phobie du regard, du jugement silencieux mais omniprรฉsent :

  • celui des amiยทes ou partenaires,
  • celui des proches (โ€œtu devrais tโ€™รฉpiler un peu, non ?โ€),
  • celui intรฉriorisรฉ, que lโ€™on porte soi-mรชme sur son corps.

Les rรฉseaux sociaux, les filtres, la publicitรฉ ou mรชme certains contenus รฉducatifs renforcent cette pression en invisibilisant les corps poilus. Rรฉsultat : la pilositรฉ devient taboue, et ceux qui la vivent mal se sentent seuls, โ€œanormauxโ€, honteux.


Revenir au corps rรฉel : pistes thรฉrapeutiques

Il est possible de sortir de la spirale du rejet, mais cela demande du temps et de la douceur.

Quelques pistes :

  • Travailler lโ€™acceptation corporelle : explorer les reprรฉsentations sociales, identifier ses propres normes, les questionner.
  • Thรฉrapie cognitivo-comportementale (TCC) : dรฉconstruire les pensรฉes automatiques (โ€œun corps poilu est saleโ€) et sโ€™exposer progressivement ร  ce quโ€™on รฉvite.
  • Art-thรฉrapie ou photographie corporelle : redonner une place poรฉtique, symbolique ou sensible ร  la pilositรฉ.
  • Dialoguer avec ses proches : pour se libรฉrer du non-dit, tester des rรฉactions, ouvrir un espace de parole.

Il ne sโ€™agit pas de prรดner un modรจle ou un autre (รฉpilation ou non), mais dโ€™aider chacunยทe ร  choisir librement la relation ร  son corps, sans que la peur ou la honte ne dictent tout.


En conclusion

La phobie des poils rรฉvรจle ร  quel point nos corps sont normรฉs, surveillรฉs, parfois aliรฉnรฉs. Ce trouble, souvent banalisรฉ, mรฉrite pourtant toute notre attention. Car derriรจre chaque lame de rasoir utilisรฉe sous contrainte, chaque รฉvitement du miroir ou du maillot, il y a un รชtre en souffrance, un lien abรฎmรฉ au corps et ร  soi. Redonner au corps sa complexitรฉ, sa beautรฉ naturelle et sa libertรฉ, cโ€™est aussi offrir une respiration psychique ร  celles et ceux qui, chaque jour, se battent contre leurs poilsโ€ฆ et surtout contre eux-mรชmes.

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