Un sentiment de trop-plein d’exposition
Elle publie une photo et se demande aussitôt : « Est-ce vraiment moi ? »
Il relit son profil LinkedIn sans se reconnaître.
Iels passent des heures à ajuster les paramètres de confidentialité, pour garder le contrôle sur ce qui est montré — et ce qui doit rester caché.
À l’ère numérique, nous existons en partie à travers des vitrines publiques. Et pour beaucoup, cette présence visible devient source d’angoisse : peur de se trahir, de trop montrer, de ne plus savoir ce qui relève de soi, de l’image, ou de l’attente d’autrui. Cette dissociation entre le soi privé et le soi numérique peut donner lieu à une véritable phobie de l’exposition publique en ligne.
Soi intime, soi social, soi projeté
Dans la vie physique, nous modulons notre manière d’être selon les contextes : ce que nous disons à un·e ami·e n’est pas ce que nous dirons à un·e collègue.
Mais dans l’univers numérique, tout se superpose : amis, collègues, famille, inconnu·es, patrons potentiels. L’unité de publication est la même pour tous·tes. Et cette fusion forcée des cercles relationnels crée une tension : quel soi faut-il montrer ? Et surtout, comment faire quand tous les « soi » se contredisent ?
Quand l’exposition numérique devient insupportable
La peur de la visibilité publique peut entraîner :
👤 Une hypervigilance sur tout ce qui est publié (même par d’autres).
🧾 Un contrôle anxieux de sa réputation en ligne, y compris sur des années passées.
🎭 Une impression de jouer un rôle dans chaque espace numérique (pro, perso, amical…).
❌ Le refus total d’apparaître sur les réseaux (même en photo de groupe).
💢 Une angoisse déclenchée par les tags, les commentaires ou les publications non maîtrisées.
Cette peur se manifeste souvent de manière diffuse mais intense : ne pas savoir qui regarde, comment c’est perçu, ce qui peut être retenu…
Des causes profondément liées à l’identité
Cette dissociation peut être renforcée par :
- Des contextes sociaux oppressifs (minorités, discriminations, pression professionnelle).
- Une histoire personnelle marquée par le regard intrusif ou le jugement familial.
- Des traumas liés à l’image (harcèlement, outing, surveillance numérique).
- Une difficulté à fixer les frontières entre l’intime et le public.
- Une instabilité identitaire ou un fort perfectionnisme.
Elle concerne tout particulièrement les personnes en construction ou en transformation identitaire : adolescence, coming out, reconversion, transitions de vie…
L’effet « panoptique » du numérique
La peur de la visibilité est amplifiée par le fait qu’on ne sait jamais vraiment qui regarde. Contrairement à un auditoire physique, les spectateur·ices numériques sont silencieux·ses, invisibles, parfois anonymes.
C’est l’effet panoptique : on agit comme si l’on était observé·e en permanence, ce qui crée une auto-surveillance épuisante et une autocensure durable.
Comment réconcilier le soi privé et le soi public ?
🔐 Redéfinir activement ses limites : ce que je choisis de montrer, à qui, quand, et pourquoi. Créer plusieurs espaces numériques séparés si besoin.
🧩 Accepter une part de fragmentation : il est normal de ne pas être identique partout. Ce n’est pas de l’hypocrisie, mais de l’adaptation contextuelle.
🛠️ Modifier ses outils numériques : revoir ses paramètres, créer des pseudonymes, limiter la recherche de soi, désactiver les historiques automatiques.
🧠 Travailler la cohérence intérieure : un accompagnement psychologique peut aider à relier les différentes facettes de soi sans les faire entrer en conflit.
💬 Parler avec des personnes de confiance : nommer ce malaise d’exposition aide à reprendre un pouvoir symbolique sur ce qu’on vit.
Conclusion : être soi, à sa façon
La dissociation entre soi privé et soi numérique ne signifie pas que l’un est faux et l’autre vrai. Elle témoigne plutôt d’un conflit entre la volonté d’être authentique et les contraintes du regard social.
Réconcilier ces parties de soi ne passe pas par l’unification forcée, mais par l’acceptation d’une pluralité fluide. Il s’agit moins de se montrer parfaitement, que de se donner le droit d’exister, avec nuance et maîtrise, dans un espace numérique qu’on choisit d’habiter, plutôt que de subir.
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