Il suffit d’écouter un message vocal, une vidéo, ou un enregistrement… et une gêne surgit. “Ma voix est horrible.” “Je ne me reconnais pas.” “Je ne veux plus jamais m’entendre.” Ce malaise, partagé par beaucoup, devient chez certaines personnes une véritable phobie. La voix, pourtant intime, vivante et singulière, devient insupportable à entendre. Quand on rejette sa propre voix, c’est souvent plus qu’une question de sonorité — c’est une crise profonde d’identité, d’image de soi, et de rapport au corps.
Une phobie du corps… sonore
Notre voix, c’est notre présence dans le monde. Elle porte :
- notre intention,
- notre émotion,
- notre identité.
Mais certaines personnes vivent leur propre voix comme un objet étranger, voire comme une agression. Elles peuvent ressentir :
- de la gêne intense à l’écoute d’un enregistrement,
- une honte à parler en public ou au téléphone,
- un blocage émotionnel au moment de s’exprimer,
- une peur du jugement vocal (être jugé·e “aigu·e”, “nasal·e”, “trop grave”, “ridicule”).
Dans les cas les plus marqués, cette peur peut entraîner un évitement quasi systématique de la parole — voire un mutisme social.
“Je ne me reconnais pas”
Ce qui déclenche souvent le malaise, c’est l’écart entre la voix entendue intérieurement (par résonance osseuse) et la voix extérieure (captée par un enregistrement). On se découvre alors différent·e :
“On dirait une autre personne.”
“Je me croyais plus grave… ou plus doux·ce…”
“C’est comme si j’étais déformé·e.”
Cet écart peut provoquer une rupture d’identification, où l’on ne se reconnaît plus dans son propre corps sonore.
Le poids du regard… et de l’écoute
La voix est l’un des premiers vecteurs de jugement social :
- on la juge trop timide, trop autoritaire, trop monotone,
- on y projette la virilité, la féminité, l’intelligence,
- on l’associe à un statut social, une région, un niveau d’éducation.
Certaines personnes développent une peur de leur propre voix car elles l’ont :
- entendue critiquée (“Tu parles bizarrement”, “Tu as une voix de fille”, “On dirait un enfant”),
- sentie inadaptée au contexte (trop douce, trop haute, trop “neutre”),
- associée à un manque de contrôle émotionnel (tremblements, bégaiements, ruptures).
Une peur ancrée dans l’image de soi
La voix, c’est aussi la trace audible de notre intériorité. Pour ceux qui manquent d’estime d’eux-mêmes, elle devient un amplificateur de malaise.
“Je ne supporte pas de m’écouter car je ne supporte pas de m’entendre penser.”
La voix devient alors le symbole du soi vulnérable, exposé, imparfait.
Par ailleurs, chez les personnes transgenres ou en questionnement identitaire, la voix peut représenter un lieu de dissonance douloureuse : elle ne correspond pas au genre perçu ou ressenti, ce qui peut renforcer la détresse corporelle.
Ce que la phobie de sa voix empêche
- Parler en réunion ou en classe,
- Passer un appel téléphonique,
- Enregistrer une présentation,
- Participer à une discussion spontanée,
- Entamer un lien affectif ou intime.
Cela entraîne un repli relationnel, une perte d’opportunités professionnelles, voire une crainte d’exister pleinement dans l’espace social.
Peut-on aimer sa voix ?
Bonne nouvelle : oui, mais cela demande du temps, de la douceur… et parfois un accompagnement.
Voici quelques pistes pour réapprivoiser sa voix :
✅ 1. Se réhabituer progressivement à l’entendre → Écouter sa voix régulièrement, dans un cadre calme, sans jugement.
✅ 2. Explorer le lien entre voix et émotions → Que me dit ma voix ? Que révèle-t-elle de moi ? De quoi ai-je peur qu’elle exprime ?
✅ 3. Travailler la voix comme un instrument → Avec un·e orthophoniste, un·e coach vocal, ou dans un atelier théâtre.
✅ 4. Envisager des exercices de désensibilisation → Lire à voix haute, s’enregistrer dans différents contextes, expérimenter sans pression.
✅ 5. Explorer l’image de soi plus globalement → Car souvent, le rejet de la voix est lié à un rejet plus vaste de soi.
Témoignage fictif
“Je n’ai jamais aimé parler au téléphone. Puis un jour, j’ai dû enregistrer une présentation pour le boulot. En m’écoutant, j’ai eu une crise d’angoisse. J’avais l’impression d’être quelqu’un d’autre. Depuis, j’essaie de m’enregistrer chaque semaine, juste pour m’habituer. Et parfois, je me surprends à trouver ma voix… douce.”
— Malik, 28 ans
En conclusion
La peur de sa propre voix est une phobie discrète, mais profondément révélatrice. Elle parle de l’estime de soi, du regard social, du lien à son identité. La voix est vivante, mouvante, unique — et comme tout ce qui nous constitue, elle mérite d’être entendue, apprivoisée, célébrée. Car retrouver sa voix, c’est souvent retrouver sa place.
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