Et si chaque bouchée, chaque reflet, chaque sensation corporelle devenait une source d’inquiétude ? Pour certaines personnes, la peur de grossir n’est pas une simple préoccupation passagère liée à l’image de soi. C’est une phobie diffuse, parfois paralysante, où le corps est constamment scruté, anticipé, contrôlé. Derrière ce rejet anticipé du poids se cache un rapport complexe au corps, à l’identité, et à la place qu’on croit devoir occuper dans le regard d’autrui.
Quand la silhouette devient une obsession
La peur de grossir dépasse souvent la simple volonté de rester « en forme ». Elle s’installe dans le quotidien comme une forme de vigilance permanente :
- on pèse ses repas,
- on se regarde de profil dans une vitrine,
- on évite les photos de groupe,
- on vérifie si ses vêtements serrent un peu plus que la veille.
Ce phénomène peut apparaître dès l’adolescence, période marquée par les transformations corporelles et le regard social grandissant. Il peut aussi se développer plus tard, à la suite d’une grossesse, d’une remarque blessante, ou d’une prise de poids jugée excessive.
Mais cette peur ne concerne pas que la silhouette : elle englobe aussi ce que le poids symbolise. Dans une société qui valorise la minceur comme synonyme de maîtrise, d’esthétique, voire de réussite, grossir est souvent perçu comme un échec, un laisser-aller, une faiblesse.
Une phobie corporelle masquée
Contrairement aux phobies classiques (peur du vide, des serpents, etc.), la phobie de grossir est rarement formulée comme telle. Elle est pourtant bien réelle, et elle fonctionne selon les mêmes mécanismes :
- Hypervigilance : la personne traque les moindres signes de changement corporel.
- Anticipation anxieuse : l’idée de grossir provoque du stress, parfois dès l’idée d’un repas.
- Évitement : on refuse certains aliments, situations sociales (restaurants, buffets, fêtes), voire même le contact physique.
On pourrait parler de phobie silencieuse, car elle est souvent banalisée, voire valorisée. “C’est bien, tu fais attention à toi”, dira-t-on. Pourtant, derrière cette apparente discipline peut se cacher une angoisse profonde, une lutte intérieure épuisante.
Les racines psychiques de la peur de grossir
La phobie de grossir est souvent le symptôme d’un malaise plus global :
- Image corporelle déformée : malgré un corps “dans la norme”, la personne se voit en surpoids ou déformée.
- Besoin de contrôle : contrôler son poids devient une façon de compenser une insécurité émotionnelle, affective ou existentielle.
- Croyances intériorisées : “Si je grossis, on ne m’aimera plus”, “Je ne serai pas pris·e au sérieux”, “Je ne me supporterai pas”.
Ces croyances sont nourries par des messages culturels puissants, des injonctions familiales, ou des expériences humiliantes (moqueries, commentaires intrusifs, etc.). Elles peuvent aussi s’enraciner dans des troubles de l’attachement ou une faible estime de soi.
Quand la peur se transforme en trouble
Il existe un continuum entre inquiétude corporelle, phobie de grossir, et troubles du comportement alimentaire (TCA). La frontière est parfois fine.
Parmi les signaux d’alerte :
- une fixation sur le chiffre du poids,
- des émotions fortes liées à la nourriture (culpabilité, honte),
- une tendance à se restreindre même en cas de faim,
- des cycles de restriction et de compensation (hyperactivité, jeûne, purge),
- une souffrance psychique autour du corps.
Certaines formes de TCA, comme l’anorexie mentale ou l’orthorexie, s’enracinent justement dans une peur obsessionnelle de prendre du poids. Mais d’autres, plus “invisibles” socialement, traduisent la même peur : régime perpétuel, contrôle hygiéniste, culpabilité alimentaire.
Le rôle du regard des autres
La peur de grossir est intimement liée à la peur du jugement. Le corps devient un objet social exposé :
- au regard évaluateur (des proches, des collègues, des inconnu·es),
- à la comparaison (réseaux sociaux, modèles de beauté irréalistes),
- à l’injonction au changement (“tu devrais perdre un peu”, “ça t’irait mieux si…”).
Dans ce contexte, il devient difficile de se sentir libre dans son corps, surtout quand celui-ci ne correspond pas aux canons dominants.
Certaines personnes développent alors une stratégie de suradaptation : elles tentent de correspondre, au prix de leur santé mentale et physique.
Retrouver un rapport apaisé à son corps
Il est possible de sortir du cercle anxieux de la peur de grossir. Cela demande un travail profond, souvent accompagné par un·e thérapeute.
Quelques pistes concrètes :
- Travailler sur l’image corporelle : comprendre que l’on n’est pas son reflet, ni son poids.
- Identifier les pensées automatiques : “Si je grossis, je vaux moins” → d’où vient cette idée ?
- Déconstruire les normes : interroger les modèles qui alimentent cette peur.
- Apprendre l’auto-bienveillance : parler à son corps comme on parlerait à un enfant qu’on aime.
- Réhabiliter le plaisir : manger avec joie, bouger pour se sentir vivant·e, pas pour “brûler”.
Des approches comme la thérapie cognitivo-comportementale (TCC), la pleine conscience ou l’approche intuitive du rapport au corps peuvent être précieuses dans ce cheminement.
En conclusion
La peur de grossir n’est pas un simple “caprice esthétique” : c’est une phobie qui mérite d’être entendue, reconnue et traitée avec bienveillance. Elle révèle souvent des tensions plus profondes entre identité, estime de soi et pression sociale. Se libérer de cette peur, ce n’est pas renoncer à prendre soin de soi — c’est apprendre à le faire autrement. Avec douceur. Avec respect. Et avec confiance dans le fait que le corps n’est pas un ennemi, mais un compagnon de vie.
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