Il existe des personnes qui vivent dans une vigilance permanente. Non pas par peur du danger extérieur, mais par peur de devenir elles-mêmes un danger pour les autres. Ces personnes craignent de blesser par inadvertance, de mal dire, de mal faire, de mal penser. Cette angoisse, invisible de l’extérieur, est parfois si intense qu’elle devient une véritable phobie existentielle : la peur de faire le mal.
On parle alors de scrupulosité anxieuse ou de phobie morale. Elle concerne autant les gestes que les pensées, les intentions que les conséquences, et s’accompagne presque toujours d’un sentiment écrasant de culpabilité.
Quand la peur du mal devient obsessionnelle
Ce trouble ne signifie pas que la personne est dangereuse. Au contraire : elle est profondément soucieuse de bien faire, parfois à l’excès. Elle doute :
- De son honnêteté
- De ses réactions spontanées
- De ses paroles dites sans réfléchir
- De son impact émotionnel sur les autres
- De ses choix, même éthiquement justifiables
Tout devient source potentielle de tort, ce qui crée une tension psychique quasi permanente.
Symptômes fréquents
- Ruminations sur des situations passées (“Ai-je blessé cette personne ?”)
- Besoin constant de réassurance morale ou relationnelle
- Crainte de dire ou faire une chose immorale, même involontairement
- Pensées intrusives violentes ou transgressives, suivies de détresse
- Comportements d’évitement (éviter certaines discussions, responsabilités, décisions)
- Culpabilité persistante, parfois sans fondement identifiable
Ce que cette peur exprime
Une conscience morale exacerbée
La personne vit avec un surmoi intérieur extrêmement exigeant, une norme éthique rigide qui tolère peu l’imperfection.
Une confusion entre pensée, intention et action
Elle redoute que penser une chose mauvaise équivaut à l’être. Elle confond fantasme et passage à l’acte, doute et faute.
Une peur de soi masquée
Derrière cette phobie, se cache souvent la crainte d’avoir en soi une part d’ombre, une agressivité ou une violence inavouée.
Une intériorisation précoce du mal
Enfance marquée par des injonctions morales sévères, des culpabilisations récurrentes ou une éducation dans la peur de mal faire.
Conséquences dans la vie quotidienne
- Difficulté à dire non, à poser des limites (par peur de blesser)
- Réactions disproportionnées à une critique ou un reproche
- Fatigue morale chronique
- Difficulté à assumer des responsabilités ou des postes décisionnels
- Tendance à l’auto-effacement dans les relations
Approches thérapeutiques recommandées
Thérapies cognitivo-comportementales (TCC)
Travail sur la distinction pensée ≠ intention ≠ action. Déconstruction des croyances du type “Je suis responsable de tout mal”.
Approche compassionnelle
Renouer avec une image bienveillante de soi, capable de comprendre l’erreur sans se condamner.
Travail symbolique sur le bien et le mal
Explorer ce que représentent ces concepts dans l’histoire personnelle, familiale ou spirituelle.
Apprendre à tolérer le doute
Il ne s’agit pas d’être toujours certain·e de bien faire, mais de vivre avec cette incertitude sans se paralyser.
Conseils concrets pour apaiser la peur
- S’autoriser à faire des erreurs simples, sans s’auto-punir
- Se répéter : “Ce que je ressens n’est pas ce que je suis”
- Ne pas chercher à tout justifier : la pureté morale absolue n’existe pas
- Cultiver des relations qui accueillent la nuance, la discussion, la réparation
- Réduire l’exposition à des contenus moralisateurs extrêmes (réseaux sociaux, débats binaires…)
- Tenir un carnet des “actes de soin” concrets que l’on a posés
Conclusion
La peur de faire le mal est souvent le reflet d’une immense sensibilité, d’un respect profond de l’autre, d’un désir de justesse. Mais lorsqu’elle devient paralysante, elle empêche d’agir, d’exister librement, d’oser être soi.
Sortir de cette phobie ne signifie pas devenir insensible ou égoïste. C’est apprendre à se faire confiance sans devenir infaillible, à habiter le réel, non l’absolu, et à comprendre que la morale vivante est une construction, pas une condamnation.
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