Quand le travail devient une source d’angoisse
Le travail est souvent perçu comme une norme, un repère social et une nécessité. Mais pour certaines personnes, le simple fait de penser à travailler déclenche une profonde anxiété, voire une peur paralysante. Cette peur porte un nom : l’ergophobie.
Souvent méconnue, parfois minimisée, l’ergophobie peut affecter durablement la qualité de vie d’une personne, son équilibre psychologique et sa trajectoire sociale.
Elle ne concerne pas uniquement les personnes en souffrance professionnelle : elle peut aussi toucher ceux qui n’ont jamais travaillé, ceux qui enchaînent les emplois sans stabilité, ou ceux qui ont vécu un traumatisme lié à l’activité.
Qu’est-ce que l’ergophobie ?
L’ergophobie est une phobie spécifique qui se caractérise par une peur intense, irrationnelle et persistante du travail ou de tout ce qui y est associé : horaires, hiérarchie, environnement professionnel, productivité, exposition, etc.
Ce n’est pas une simple “flemme”, ni une forme de procrastination. C’est une véritable souffrance psychique, souvent accompagnée de symptômes physiques et émotionnels :
- Palpitations, sueurs froides, troubles du sommeil
- Crises d’angoisse à l’approche d’un entretien, d’un lundi matin ou d’un appel d’employeur
- Difficultés à se projeter dans une activité, à se concentrer, à “tenir” dans un cadre professionnel
- Évitement : retards, absences, reconversions en série, ou retrait prolongé
Différencier ergophobie, burn-out et anxiété sociale
L’ergophobie peut parfois être confondue avec :
- Le burn-out, qui survient généralement après une période de surmenage intense. L’ergophobie peut en être une conséquence durable, mais elle peut aussi exister indépendamment.
- La phobie sociale, où la peur du regard des autres s’étend à tous les contextes, pas seulement professionnels.
- L’anxiété généralisée, qui s’exprime dans plusieurs sphères de vie, mais sans focalisation spécifique.
Ce qui distingue l’ergophobie, c’est le lien direct avec l’idée même de travailler, quels que soient le secteur ou les conditions.
Origines possibles de l’ergophobie
L’ergophobie n’a pas une seule cause. Elle peut être le résultat :
- D’une expérience traumatique dans un emploi précédent (harcèlement, humiliation, burn-out, licenciement brutal)
- D’un conditionnement négatif : avoir grandi dans un environnement où le travail était source de conflit, de souffrance ou de dévalorisation
- D’un profil psychologique particulier : hypersensibilité, perfectionnisme, anxiété de performance, faible tolérance au stress
- D’une interruption prolongée (maladie, maternité, isolement social) qui rend le retour au travail vertigineux
Chez certaines personnes, l’ergophobie est liée à une forme de dissociation identitaire : ne pas se sentir “à sa place”, se percevoir incompétent, illégitime, ou “en décalage” permanent avec les exigences du monde professionnel.
Témoignage fictif : Claire, 34 ans
“Je me réveille chaque matin avec une boule au ventre. L’idée de retourner au bureau me donne la nausée. J’ai toujours peur de mal faire, d’être jugée. À peine j’ouvre mes mails que je transpire. Mon entourage pense que je dramatise, mais moi, je vis un cauchemar quotidien. Depuis que j’ai été humiliée par mon ancien supérieur, c’est comme si mon corps refusait de retravailler.”
Le cercle vicieux de l’évitement
Comme pour toute phobie, le réflexe de protection immédiat est l’évitement :
- On repousse une prise de poste
- On annule un entretien
- On se trouve des raisons de ne pas reprendre
- On rêve de reconversion sans jamais la concrétiser
À court terme, cet évitement soulage. Mais à long terme, il renforce la phobie : plus on évite, plus on redoute, plus la peur s’installe, plus on se juge incapable… ce qui génère un sentiment d’échec, d’isolement et parfois de honte.
Peut-on soigner l’ergophobie ?
Oui. Même si cela demande du temps, des ajustements et un véritable accompagnement.
Voici les pistes les plus efficaces reconnues :
1. Thérapie cognitivo-comportementale (TCC)
C’est la méthode de référence pour travailler sur :
- Les pensées automatiques (“je vais échouer”, “je suis incapable”)
- L’exposition progressive (par étapes maîtrisées)
- La reprogrammation des réponses anxieuses
Un thérapeute peut accompagner le patient à identifier les déclencheurs, reconstruire l’estime de soi et réintroduire l’idée de travail de manière sécurisée.
2. Thérapies d’acceptation et d’engagement (ACT)
Elles permettent de réduire la lutte contre l’émotion (au lieu de la fuir) et d’apprendre à agir en accord avec ses valeurs, même en présence d’un inconfort.
3. Accompagnement professionnel adapté
Un ergothérapeute, un conseiller en insertion, ou un coach peuvent aider à :
- Réévaluer les environnements de travail compatibles
- Identifier les tâches qui déclenchent la peur
- Construire une reprise douce et personnalisée
4. Travail sur le rapport au corps
L’ergophobie active souvent le corps en alerte. Des techniques comme :
- La cohérence cardiaque
- La relaxation musculaire progressive
- La pleine conscience (mindfulness) … peuvent permettre de reconstruire une relation plus apaisée avec soi-même dans l’action.
Peut-on prévenir l’ergophobie ?
Oui, en repérant :
- Les signaux de surcharge mentale prolongée
- Les environnements toxiques
- Les profils à risque (perfectionnistes, hypersensibles, etc.)
Créer des environnements de travail plus humains, où la parole est possible, réduit le risque de basculement dans une peur durable.
Conseils concrets pour entamer une sortie de l’ergophobie
- Commencer par parler de cette peur à une personne de confiance
- S’autoriser à ne pas culpabiliser : cette peur est réelle
- Accepter une aide professionnelle sans attendre le point de rupture
- Réécrire son rapport au mot “travail” : peut-il aussi signifier créativité, lien, expression, rythme personnel ?
- Explorer des formes d’activité douces pour recontacter le plaisir d’agir : bénévolat, création, projets personnels
Conclusion : Retrouver une place dans l’action… à son rythme
L’ergophobie n’est pas un refus de contribuer. Ce n’est pas de la paresse ni un manque de motivation.
C’est une souffrance face à un monde du travail souvent trop normé, trop rapide, trop exigeant.
Surmonter cette peur, c’est apprendre à se reconnecter à l’action, à son utilité, à sa valeur — mais dans le respect de ses propres limites.
Car travailler ne devrait jamais rimer avec se perdre.
Mais peut-être, un jour, redevenir une forme de présence à soi.
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